Journal de bord d’un habitant de KMØ… Entrepreneur et confiné.
Semaine 1 : Entrepreneuriat et confinement, incompatibles ?
Être entrepreneur et confiné : deux situations à priori complètement incompatibles entre elles.
Les événements et les activités chez mes clients sont littéralement arrêtés et rares sont les missions qui vont pouvoir être maintenues.
Je me lève le matin en me disant que j’ai fait un très mauvais cauchemar, mais non, les radios et les chaînes de télévision nous rappellent la triste réalité en énumérant chaque jour le nombre de décès et d’hospitalisations qui évolue exponentiellement.
En toute honnêteté, difficile de travailler et d’avancer sur des tâches professionnelles. Le cœur et la tête n’y sont pas. On prend quotidiennement des nouvelles de la famille et amis répartis dans les quatre coins de la France, certains d’entre eux sont mêmes bloqués à l’étranger. Mes clients dirigeants d’entreprise s’affolent et se focalisent sur la santé de leurs collaborateurs et les démarches administratives.
Semaine 2 : Comment puis-je faire ma part ?
Mon sentiment de culpabilité ne fait que grossir. Nous habitons seulement à 5km de l’hôpital de Mulhouse et nous apercevons régulièrement le balai incessant d’hélicoptères de secours et d’hélicoptères militaires au-dessus de nos têtes. A 5km de chez nous, des soignants sauvent des vies et travaillent jour et nuit sans relâche. Comment puis-je contribuer et faire ma part ?
Je passe de nombreux coups de fil à d’anciens collègues de Roche et de Novartis : « avez-vous encore des masques, gants, et surblouses ? ». Au bout de 48h, on m’informe que les équipements de protection sont déjà réservés et aussi attribués au personnel des entreprises. Mince, trop tard !
Je m’inscris à des hackathons santé français et mondiaux pour apporter ma petite pierre et contribuer à la réflexion sur des projets portés par des innovateurs de tout bord. C’est vraiment stimulant d’essayer de trouver des solutions collectivement. Par exemple, le http://hackinghealth.camp/, basé à Strasbourg a développé des applications pour le suivi des patients, le tracking des lits de réanimation disponibles, le soutien aux personnes confinées isolées, etc.
Semaine 3 : J’essaye de rester concentré
L’ambiance KMØ me manque. Le petit café du matin pour se mettre en rythme, le déjeuner au Pantographe avec les autres entrepreneurs pour refaire le monde et réfléchir à de nouvelles collaborations futures, les événements de la communauté KMØ.
Je réalise que ces frustrations sont bien minimes par rapport au véritable tsunami que vivent les soignants face à cette tragédie et surtout par rapport aux familles directement impactées par le virus.
Mon fils, basé à Bruxelles, m’apprend qu’il a une fièvre élevée depuis 2 jours et un très mauvais mal de gorge. Impossible de s’alimenter. Cela sent le covid à plein nez. Je m’inquiète et l’appelle très régulièrement. Au bout de 4 jours les symptômes s’estompent et ne réapparaîtront pas. Ouf, plus de peur que de mal !
Je me remets à la tâche mais l’énergie n’est pas toujours là. Difficile de se concentrer sur la même activité pendant plus d’1 heure. Je « switch » très vite d’une activité à l’autre. J’ai l’immense privilège de bénéficier d’un jardin : j’alterne travail professionnel et jardinage que j’avais délaissé depuis l’hiver.
Semaine 4 et 5 : Un nouveau monde s’ouvre à nous
Les semaines 4 et 5 se ressemblent et je suis dans une dynamique beaucoup plus positive, créative et productive.
En y réfléchissant, je pense avoir vécu, comme beaucoup d’entre nous, les différentes phases émotionnelles décrites par la psychologue Elisabeth Kübler-Ross : c’est-à-dire un processus qui alterne des phases de colère, déni, négociation, dépression et enfin d’acceptation de la situation.
Je réalise combien cette crise véhicule d’un côté tout son lot de malheurs, mais porte aussi tout son lot d’actions positives, solidaires, de coopération et de prises de décisions rapides. Les français sont réputés râleurs mais dans la douleur, ils se retroussent les manches, ils sont solidaires, coopératifs et supercréatifs ! Ils ne subissent pas le changement, ils font face et sont dans l’action pour le bien des autres, et ce même confinés !
Alors, on se prend à rêver. Et si cette crise qui nous impose ce temps de pause était une invitation à imaginer un monde différent de celui d’hier ? Un monde qui n’épuiserait ni les Hommes ni la Planète. C’est-à-dire :
- un monde où nos modes de consommation seraient radicalement différents,
- un monde où les circuits alimentaires privilégieraient les circuits courts, locaux,
- un monde ou notre industrie et nos services ne seraient pas si dépendants de la Chine (un monde où nos industries reviendraient s’établir en France, en Alsace et en particulier dans notre chère ville de Mulhouse),
- un monde où les mobilités seraient repensées, rééquilibrées (les émissions de CO2 ont été réduites de 25 à 60 % lors du confinement selon les régions : hier on autorisait un cadre à se déplacer en Chine ou à New York pour quelques jours de réunion, et demain ?),
- un monde où la profitabilité ne serait plus reine mais un monde de solidarité et de partage,
- un monde où l’on investirait largement dans la Santé.
Et si cette crise était une opportunité pour la ville de Mulhouse et tous ses acteurs publics et privés ? L’Alsace et Mulhouse qui ont tant souffert du covid, l’Alsace prénommée « Coronaland » par Florence Aubenas (article « Bienvenue en Coronaland », Le Monde – 26/04/2020).
Et si L’Alsace et Mulhouse montraient le chemin ? Le chemin d’une voie nouvelle, une voie qui n’épuise ni ses citoyens, ni la planète… une voie solidaire et de partage, portée par des leaders et des acteurs inspirés qui s’engagent dans des choix courageux, à la fois économiques, sociétaux et environnementaux.
Un vrai défi et aussi une opportunité incroyable !
Et Florence Aubenas écrirait dans le Monde en 2025 : « L’Alsace, bienvenue dans le Nouveau Monde… L’exemple à suivre. »
Alors, chiche ?
Jérôme Aubert, Freedom 2 eXplore (F2X)